La démarche :
Dès lors qu’un site, que les vestiges d’un ancien bâti et autres traces de l’existence de l’humanité, c’est-à-dire l’Histoire, ont fait l’objet d’un classement, ils acquièrent la qualité de Monuments Historiques.Qu’il s’agisse du domaine public ou bien d’une propriété privée, ils sont soumis à réglementation, quant à leur protection et à leur gestion, au sens le plus étendu du terme. Car il s’agit du Patrimoine National. Le Ministère de la Culture et de la Communication, devient, dans l’absolu, le passage obligé, l’interlocuteur représentant l’Etat étant la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC).
Cette prérogative s’étend au périmètre du monument et assujettit les habitants voisins au respect de réglementation en matière d’urbanisme, d’aspect, de volume, des couleurs …
L’arbitrage par l’architecte des Bâtiments de France est souverain.
Les restaurations :
Le vestige de la tour fortifiée du manoir adjacent (à ce jour disparu) est jugé comme représentatif de l’architecture militaire à la Guerre de Cent Ans. Faute de préservation, il s’est donc considérablement dégradé. Il aura fallu qu’une personne privée devienne légalement propriétaire du site qui le porte pour que l’attention des Services de l’Etat soit attirée et que ceux-ci interviennent aussi. Le vestige est jugé riche d’informations sur les pratiques stratégiques de cette époque surtout sur le plan défensif. Dans la phase actuelle, il s’agit avant tout de protéger l’existant, de le consolider. Il s’agit d’un travail de maçonnerie à confier à un artisan reconnu et expérimenté dans le « traitement » de Monuments Historiques.
Matériaux, ingrédients, outillage, techniques, modes opératoires sont édictés par la DRAC. Dans une phase ultérieure, la restitution des murailles et structures intérieures du bâti sera abordée dans les limites laissées à l’appréciation de la DRAC.
Il est demandé au propriétaire d’en faire un lieu de mémoire et en même temps de pédagogie qui s’inscrivent dans la dynamique de l’histoire et de l’art qui lui sont associés.
La tour fortifiée à laquelle accolait le manoir de la famille de Biencourt, représente l’unique vestige représentatif de l’architecture militaire voici 700ans, elle a été inscrite en tant que Monument Historique à l’Inventaire du Patrimoine en 1980.
Erodée par le temps, malmenée par les hommes et finalement abandonnée en vue d’être détruite, c’est aujourd’hui une bâtisse robuste et très balafrée.
Les nouveaux propriétaires, respectueux de l’Histoire, négocient avec le Ministère de la Culture le contenu et les limites de la restauration.
Ce chantier envisagé est délicat. Il implique une concertation pluridisciplinaire avec les compétences que représentent la Direction Régionale des Affaires Culturels (DRAC), l’architecte des Bâtiments de France, l’Architecte du patrimoine qui serait recruté par les maîtres d’ouvrage que sont l’Etat et le propriétaire ainsi que les corps de métier habilités. Le tout selon un programme pluriannuel rigoureux.
Il y a le bâtiment et il y a l’Histoire. L’objectif visé doit être raisonné sur les plans quantitatifs et qualitatifs, afin que la restitution soit le résultat d’une association idéale d’authenticité historique et de mode opératoire convenable en conformité avec la législation.
2010 La reprise en Main
A l’issue de quelques mois de concertation avec la Direction des Affaires Culturelles, avec le précieux concours d’un éminent architecte des Bâtiments de France qui possède une connaissance approfondie de la Seigneurie, nous finissons par obtenir l’autorisation de réparer après un nettoyage d’ampleur incroyable. Il s’agira de « soigner », de consolider et non de reconstruire le bâtiment mais aussi :
De valoriser les caves dans un souci muséographique. De garantir la protection physique des lieux. De pouvoir vous expliquer l’architecture militaire en ces temps de la Guerre de Cent Ans, pour comprendre les différentes fonctionnalités de l’édifice ruiné.
En effet, alors que la France souffre de désordres intérieurs favorisant le banditisme, de famines, et d’un conflit ouvert par les Anglais qui convoitent le Trône de France, oserons-nous avancer que ce projet de conquête aura duré longtemps, puisqu’en 1918, la poignée de soldats britanniques qui campaient sur le Site Jean de Poutrincourt, par un soir de liesse arrosée, s’amusa à tirer quelques coups de canon sur le donjon, l’endommageant outrageusement de part en part.
Et oui, mais … en roturier que je suis aujourd’hui, le responsable des lieux. Jusqu’en 1791, nous appartenions à la Noblesse d’En Bas. Mais pour moi il n’y a pas de Noblesse d’en Haut ou d’en Bas, ne compte que la Noblesse de Cœur ! Mais, lorsque mon aïeul Nicolas naquit, le greffier, sur instructions du Commissaire du Peuple modifia l’écriture de son patronyme : le Sire Gheraerdt devint Sergheraert, un nom d’origine franque, qui signifie « habile lanceur de javelot « ! Mes aïeux étaient laboureurs et possédaient quelques chevaux de labour et autant de brabants, herses… Aujourd’hui nous dirions qu’ils étaient de petits entrepreneurs en travaux agricoles.
De ces arrières, arrières grands-parents, j’ai sans doute hérité de mon attirance pour la terre et pour toutes les formes de vie.
En l’an 2 000, parvenu aux termes d’une carrière professionnelle passionnée passée dans le domaine médical et nutritionnel, je ressentis un cruel désœuvrement.
C’est alors que je fis connaissance avec la Baie de Somme au Hameau de Bethléem de la « Maison du Pain », là où je demeure, parcourant à pieds les Bas-Champs de Cayeux jusqu’à Ault Onival. Ainsi, j’ai découvert la bassure, autrement dit les « bas-champs » : l’Enviette, la Digue de Mont Mignon, Mont Cavrel, le Canal de Cayeux et celui de Lanchères, Brutellette, Hautebut ; cela devint mon itinéraire favori.
C’est ainsi qu’un soir de Septembre 2001, je me suis retrouvé en face d’un pan de mur fait de briques et de silex, réalisant un échiquier de noir et de blanc ; une palette que le soleil couchant colorait en un ensemble satiné de toutes nuances en même temps qu’un chef d’œuvre de géométrie exacte et ruisselant de lumière.
Quelques jours après, j’appris qu’il s’agissait d’un donjon « Vieux comme Hérode » ! Selon une vieille paysanne de l’endroit. Elle ajouta que le propriétaire était un certain Monsieur Charles.
Jusqu’au jour où l’Etat que j’avais interrogé sur ce vestige de « quelque chose » me proposa de lui acquérir cette parcelle de 5 000m² avec, au Nord, ce qui devait être un donjon qui s’élevait jadis à quinze mètres environ, et émergeant d’une steppe de trois mètres de haut.
Des jours passèrent qui me ramenèrent en 1946, au Lycée Jean Bart de Dunkerque ; j’étais alors en classe de cinquième latine. Au programme d’histoire : le Moyen-Âge et la Renaissance.
Mon professeur, d’une trentaine d’années, toujours en costume bleu marine, chemisé de blanc, cravate… Nous n’avions pas de livre ! Nos cours duraient un peu plus d’une heure.
Toute la classe de trente-deux élèves était suspendue à ses lèvres tant la leçon était éloquente, parfois théâtrale, où alternaient le rire et la tristesse.
Je me suis rendu compte que soudain, je me souvenais de Richard Cœur de Lion envahissant Saint-Valéry. Des heures sanglantes entre les Anglais, les Bourguignons et les Français. Ce devait être de 1340 et 1450. Et puis la guerre avec les Espagnols : un carnage !
Et puis, beaucoup de Grands avaient piétiné ces lieux, là où je me reposais au pied de la muraille dont la pierre devait exercer une sorte de réviviscence en mon esprit :
- L’Empereur Charlemagne en l’an 800
- En 1066, Guillaume le Conquérant, parti de Saint-Valéry et faisant voile vers l’Angleterre
- Les Hommes d’ici qui, en grand nombre, ont rejoint les milices à Bouvines, sous Philipe Auguste,
- Jeanne d’Arc chevauchant vers Rouen,
- François Ier, ce Roi Guerrier fait prisonnier en Italie à Pavie. Le paiement de la rançon, pour qu’il soit libéré, ayant échu aux drapiers d’Amiens ; leurs descendants en parlent encore.
Tout cela se bousculait dans ma tête en révolution lorsque soudain, c’est le visage même de mon professeur qui apparut : Monsieur Christi ! Un homme chaleureux et sévère à la fois qui, lors de sa première leçon, se voulut rassurant. Il écrivit à la craie d’une main appliquée sur le tableau noir : « Mes enfants, tout au long de cette année, je veux vous apprendre à apprendre et à vous de me connaître. C’est à moi d’apprendre à vous connaître un par un ; et ensemble nous y parviendrons. Les intelligences sont tellement multiples, vous savez. »
Revenu au temps présent, je me dis qu’aujourd’hui c’était à moi de découvrir Monsieur de Poutrincourt.